• Faire l’histoire des émotions à l’âge des passions

     

    Dans cet article Damien Boquet explique ce que sont les émotions. Il s’est appuyé sur d’autres travaux afin de montrer l’évolution du terme des « émotions » au travers les siècles. Sa recherche s’est notamment focalisée sur le Moyen-Âge, où les émotions étaient confondues avec les vertus.
    Nous n’avons sélectionné qu’une partie des recherches de M. Boquet pour notre article, si vous voulez de plus amples informations, vous pouvez vous diriger vers le lien internet cité plus bas.

     

    Faire l’histoire des émotions à l’âge des passions


      Faire l’histoire des émotions à l’âge des passions 

     

                                                                   Damien Boquet

     

    (Université d’Aix-Marseille I / Institut universitaire de France)

     

    http://emma.hypotheses.org/1106

     

    NB : ce texte est une version légèrement remaniée de l’exposé présenté lors de la séance introductive du Séminaire de recherche sur les îles britanniques (Université d’Aix-Marseille I / LERMA) : « Les émotions : performativité, pratiques, mises en scène » (Aix-en-Provence, 18 octobre 2010). Les références des études citées  sont sur la bibliographie déposée sur le site du séminaire 

     

    "L’histoire des émotions est en vogue. Il y a 10 ans, elle n’existait pas. 

     

    Après la guerre, c’est surtout l’histoire matérielle ou économique, fondée sur la série et des approches structurales qui s’est développée. Plus tard, l’histoire des mentalités, puis des représentations, a certes intégré les phénomènes affectifs – les sensibilités – mais là aussi en les soumettant en quelque sorte à des modèles culturels, des structures collectives, sans questionner véritablement l’historicité des affects eux-mêmes. Mais là n’est pas l’essentiel, car même si elles n’étaient pas centrales, les émotions ont eu leur place dans l’historiographie culturelle récente.

     

    En effet, depuis les années 1960, les émotions ne peuvent plus être considérées comme une sorte de bruit irrationnel et réactif qui perturbe la musique de la rationalité, laquelle serait de surcroît le lieu idéal de l’identité singulière (ou personnelle). La philosophie de l’esprit, la psychologie sociale ou encore la psychologie cognitive ont mis en lumière le rôle des émotions dans le traitement de l’information, l’appréhension des situations de vie, la communication interpersonnelle. On pourrait dire d’une certaine façon que tout se passe comme si les émotions étaient des sentinelles de la rationalité ; elles nous renseignent sous la forme de routines acquises sur ce qui est conforme à nos valeurs et aux attendus, aux normes sociales. Les émotions joueraient un rôle de réflexe cognitif. Dans le même temps, elles évaluent les situations, les expériences : par exemple en nous faisant ressentir notre degré d’accord avec la situation vécue, quitte à nous conduire à des révisions de nos croyances ou jugements. En ce sens, les émotions auraient une fonction particulière d’aide à la décision et poussent à l’action.

     

    Le mot n’apparaît que dans la première moitié du XVIe siècle. Surtout, Thomas Dixon montre que la catégorie actuelle d’émotion est le résultat d’un processus de sécularisation de la psychologie, extraite progressivement de la théologie et de la philosophie. La conception donc d’une émotion moralement désengagée, corporelle, non-cognitive et involontaire est récente, date du XIXe siècle.

     

    Pour Dixon, il y a un « mythe du ‘mythe des passions’ » car précisément les catégories de l’affectivité antérieures à l’émotion moderne pouvaient renvoyer à des « émotions cognitives ». Dixon prend comme exemple le Moyen Âge notamment. Que ce soit dans la tradition stoïcienne ou bien chrétienne, les affects peuvent s’opposer au raisonnable, mais leur dimension cognitive est loin d’être niée, a fortiori leur implication morale. A partir de là, Dixon croit percevoir pour le Moyen Age une distinction entre les « passions » (passiones), qui auraient un sens plutôt négatif, passif, non-cognitif (elles seraient donc les lointains ancêtres de l’émotion), et les « affects » (affectus, affectiones) qui qualifient les mouvements de l’âme, volontaires et valorisés comme moteurs de la spiritualité.
    En outre Dixon a raison de souligner que les affects et les passions pré-contemporains sont fortement déterminés par leur valeur morale, à tel point qu’au haut Moyen Age la question des affectus se confond avec l’enseignement sur les vices et les vertus. Dixon dénonce ce caractère « over inclusive » de l’émotion contemporaine et on sent bien qu’il voit d’un bon œil ce qu’il appelle la « réinvention » du caractère moral et cognitif des émotions.

     

    Plus largement, toute la théorie médiévale des émotions repose sur leur finalité morale : les émotions (ou passions) sont bien moins qualifiées par elles-mêmes (la colère comme nuisible, la joie comme bénéfique) que selon la valeur morale de la finalité qu’elles visent (il y a des bonnes et des mauvaises colères, hontes, etc.). Que les émotions soient perçues comme des évaluations morales et des tendances à l’action est encore plus évident dans les sources narratives. Les émotions ont toute leur place dans la communication publique : en politique, dans les relations de pouvoir, dans les cours de justice, parce qu’elles informent les protagonistes, parce qu’elles signifient des orientations ou des états, etc.

     

    Cependant toute une série d’études récentes, de Dixon, de Reddy et d’autres, ont bien montré que ni le rationalisme philosophique du XVIIe siècle, ni les Lumières n’ont conduit à une négation de la valeur morale des émotions, au contraire. Au mieux, le hiatus se serait constitué dans la seconde moitié du XIXe siècle. D’ailleurs, chez les historiens, il apparaît que le temps de la restriction émotionnelle est en général dans la période qui suit : la Renaissance pour les médiévistes ; le XVIIe siècle pour les « XVIèmistes » , etc."

     


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  • Commentaires

    1
    Yawa
    Dimanche 20 Mai 2012 à 22:36

    La partie historique vient enrichir votre travail, intéressant.

    Bonne continuation.

    Apolline

     

     

    2
    ChloéAlysée Profil de ChloéAlysée
    Mercredi 23 Mai 2012 à 10:07

    Vraiment trés interessant ! On attend la suite :)

    3
    mimael Profil de mimael
    Mercredi 23 Mai 2012 à 11:18

    Très interressant!!! et pouvez vous nous dire comment sont perçues les émotions dans notre société actuelle?

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